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TERRES

                          PROMISES

CHRONIQUES DE VILLAGES PETROLIERS AMAZONIENS 

QUELQUES DONNEES

L'EQUATEUR, UNE ECONOMIE PETROLIERE

L’économie équatorienne est fondée sur l’exportation des matières premières agricoles et minérales. Aujourd’hui, le pétrole représente 45% des revenus du budget général de l’État, loin devant les autres secteurs. La majorité des réserves pétrolières est concentrée en Amazonie, et plus particulièrement dans les provinces d’Orellana et de Sucumbíos qui représentent à elles seules 85% de la production nationale. L’exploitation des ressources souterraines de l’Équateur a débuté à la fin des années 1960: le gouvernement autorise l’entrée des compagnies pétrolières dans une forêt supposée «vierge», peuplée par des populations indigènes isolées et méconnues. Lago Agrio est la première ville créée dans cette région de l’«Oriente», pour accueillir les ouvriers venus travailler dans les entreprises pétrolières. Parallèlement, dans un contexte de forte inégalité foncière et de précarisation des populations paysannes, l’État perçoit un potentiel agricole important dans ce vaste territoire  amazonien considéré « libre » et inhabité. En 1964 et 1973, deux lois de réforme agraire entendent réduire la précarité agricole en proposant aux paysans sans terres, très nombreux dans le sud du pays et sur la côte, d’acquérir gratuitement des lots de 50 hectares dans la forêt primaire.

 

Ces deux mouvements simultanés conduisent à des flux de migration massifs en direction de l’Amazonie : petits agriculteurs sans terres et travailleurs de tout le pays attirés par les salaires flamboyants promis par cette industrie nouvelle, profitent de l’ouverture des routes par les compagnies pétrolières pour pénétrer et s’installer dans la jungle. L’Amazonie devient la «Colonie» de l’Équateur, zone de peuplement de migrants, terre de tous les fantasmes, et de tous les espoirs. Les activités agricoles et pétrolières se sont donc développées simultanément dans la région, et cohabitent depuis plus de 40 ans de manière plus ou moins conflictuelle et concurrentielle : Profitant des routes ouvertes par les exploitants dans la forêt, les populations de colons se sont souvent installées à proximité des installations pétrolières. Parfois, ce sont les industriels qui ont installé leurs infrastructures sur les parcelles de propriétaires terriens en échange d’un billet de 20 dollars ou de la promesse d’un emploi bien rémunéré. La qualité de vie est lourdement conditionnée par cette promiscuité : émanations de gaz et odeurs de pétrole, bruits des camions, des pompes et des générateurs électriques, manque d’intimité lié à la présence d’ouvriers et d’étrangers, contaminations environnementales et développement de maladies non connues jusqu’alors en Amazonie.

 

Si l’agriculture reste aujourd’hui la première source d’emploi des habitants, la carrière dans l’entreprise pétrolière, plus rentable, attire davantage les populations locales et nationales. Entre autres, l’infertilité des terres rouges de l’Amazonie a rapidement obligé les agriculteurs à trouver d’autres sources de revenus. Par ailleurs, bien que le territoire Amazonien produise les premières richesses nationales, qui ont permis le décollage économique du pays, les provinces de l’Oriente restent les plus pauvres, et accumulent de nombreux problèmes sociaux et sanitaires: forte précarité des habitants, faible accès à l’eau potable et à des services de santé de qualité, isolement des populations, pollution pétrolière avérée, épuisement des ressources des sols qui affecte la productivité agricole. La contamination des eaux, des sols et de l’air augmente par ailleurs la vulnérabilité générale des populations locales.

 

PROCES TEXACO, INITIATIVE YASUNI ITT.... LE PETROLE DE L'AMAZONIE AU COEUR DE L'ACTUALITE 

Deux combats illustrent l’ampleur de la prise de conscience à l’échelle mondiale des impacts néfastes de l’exploitation des ressources souterraines et également des préoccupations concernant le devenir de l’Equateur, plus petit pays membre de l’OPEP, à l’heure où l’épuisement des ressources naturelles se fait sentir. D’abord, la problématique de la contamination pétrolière est remise à l’agenda en janvier 2012, lorsque la cour de justice de la Province de Sucumbios confirme la condamnation de l’entreprise nord-américaine Chevron-Texaco pour les dommages environnementaux et sanitaires causés dans la région, entre 1964 et 1990, date à laquelle l’exploitation du pétrole a été confiée à l’entreprise publique EP Petroecuador. Les faits reprochés concernent notamment l’utilisation de techniques obsolètes, avec la création systématique de bassins à ciels ouverts pour stocker les déchets du pétrole, qui ont contaminé sols et rivières avec de lourdes conséquences pour la santé des populations. Après 18 années de procès, la compagnie est condamnée à verser plus de 9 milliards de dollars de dommages, soit de loin la plus grosse amende de l’histoire du droit environnemental : l’affaire Texaco devient le symbole de la résistance des peuples opprimés. La lutte est cependant loin d’être terminée, puisque l’entreprise étasunienne accuse le gouvernement équatorien de fraude et a saisi la cour d’arbitrage de La Haye pour tenter de faire annuler le verdict.

 

Parallèlement, avec l’élection du président Rafael Correa en 2007, la question de la protection de la forêt et des populations face à l’activité du pétrole est devenue peu à peu un sujet brûlant en  Équateur. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement s’empare du sujet et décide de lancer une campagne de récolte de fonds auprès de la communauté internationale, pour protéger la réserve écologique Yasuni, en Amazonie, riche en biodiversité, qui représente un milliard d’hectares de forêt tropicale humide. En échange d’une aide de 3,6 milliards de dollars sollicitée auprès des pays les plus gros consommateurs de pétrole, l’Equateur aurait renoncé à l’exploitation de trois champs pétroliers situés dans la réserve, soit 900 millions de barils, 20% des réserves du pays. La somme demandée à travers «l’initiative Yasuni-ITT» représente la moitié de ce qu’aurait rapporté l’extraction du pétrole du parc à l’État équatorien. Six ans plus tard, seuls 16 millions de dollars ont été effectivement abondés. Le 4 octobre 2013, face à l’échec de la récolte de fonds, le Congrès sonne le glas de cette initiative écologique en déclarant l’exploitation du pétrole «d’intérêt national»: le gouvernement donne son feu vert à l’ouverture des blocs, et s’engage à utiliser la rente dans la mise en place des projets de lutte contre la pauvreté en Amazonie. Plus généralement l’État a décidé en 2010 la redistribution sociale de 12% des rentes pétrolières pour favoriser les actions de développement dans les domaines du social, de la santé et de l’éducation, pour montrer que « le pétrole participe au développement local ».

 

ET APRES ?

Dans les années à venir, la pression grandissante sur les géoressources et ses conséquences sociales et environnementales risquent de mettre à mal la croissance des pays du Sud. Pérou, Bolivie, Chili : on retrouve dans ces pays d’Amérique Latine et bien d’autres en Afrique notamment, des situations similaires de contamination chronique dues aux activités extractives : des populations socialement vulnérables exposées de manière continuelle à une contamination d’origine pétrolière ou minière mais peu considérées par les gouvernements du fait des enjeux économiques et politiques importants imposés par ces activités. Or, la perspective de l´épuisement à court ou moyen terme des réserves du sous-sol pose la question des perspectives d’avenir. Le vieux débat sur la viabilité économique des politiques pétrolières ne freine pas les efforts en matière d’exploration, d’exploitation de par le monde. Par ailleurs, la paupérisation démontrée des populations et la question des droits de l’homme sur les territoires pétroliers restent des obstacles majeurs au développement et a fortiori à un développement durable. Enfin, les normes nationales et internationales pour limiter les impacts des activités extractives sont encore scientifiquement limitées : beaucoup ne prennent pas en compte les expositions chroniques à de faibles doses de certains éléments chimiques, ou à des cocktails de contaminants.

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